L’opinion publique française s’oppose de plus en plus au prêt de la Tapisserie de Bayeux au British Museum, prévu entre septembre 2026 et juillet 2027. La pétition lancée par le célèbre historien d’art Didier Rykner, qui souligne les risques bien réels liés au déplacement de cette œuvre médiévale d’une extrême fragilité, est au cœur de ce mouvement.

La tapisserie, longue de 70 mètres, décrit avec une grande précision l’une des batailles les plus importantes de l’histoire européenne, ainsi que la campagne militaire de Guillaume le Conquérant. Elle n’a été déplacée que deux fois dans l’histoire contemporaine, à chaque fois dans des contextes politiques très particuliers, et est conservée à Bayeux depuis le Moyen Âge. Pendant l’Occupation, les nazis l’ont transférée à Paris pour l’exposer, tandis que Napoléon l’a utilisée à des fins impérialistes. Même au nom de la coopération culturelle, le choix de la prêter à nouveau revêt une forte charge symbolique en raison de son importance historique.
Prêt de la tapisserie de Bayeux au British Museum
| Élément | Détail |
|---|---|
| Objet concerné | Tapisserie de Bayeux |
| Longueur | Environ 70 mètres |
| Période de création | XIe siècle (vers 1070) |
| Sujet représenté | Conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, bataille de Hastings en 1066 |
| Emplacement actuel | Musée de la Tapisserie, Bayeux, Normandie |
| Nombre de déplacements | Deux fois (sous Napoléon, puis pendant l’occupation allemande) |
| Projet de prêt | Exposition prévue au British Museum de septembre 2026 à juillet 2027 |
| Motif du transfert | Fermeture temporaire du musée de Bayeux pour rénovation |
| Initiateur de la pétition | Didier Rykner, historien de l’art |
| Nombre de signataires | Plus de 40 000 |
| Source officielle |
Le musée de Bayeux sera fermé pour restauration pendant deux ans. Le ministère de la Culture affirme que le déplacement temporaire de la tapisserie est nécessaire durant cette période. Mais c’est précisément cette phase de transition qui pose problème. Des zones de tension, de déchirure et de fatigue structurelle sont visibles sur la tapisserie, déjà marquée par des siècles d’usage. Suspendue à un rail sur un support textile, elle subit, selon certains conservateurs, une tension constante sur le tissage, augmentant ainsi le risque de dommages progressifs mais irréversibles.
La tapisserie, « extrêmement fragile », ne peut être comparée à d’autres œuvres itinérantes, d’après Isabelle Attard, ancienne directrice du musée de Bayeux, qui a publiquement fait part de ses inquiétudes. Elle souligne que sa structure a été particulièrement affectée par son exposition permanente sous un éclairage artificiel quasi continu depuis 1945. Chaque vibration, chaque variation d’humidité ou de température représente un risque. Les moyens de transport modernes ne peuvent éliminer totalement ces menaces, surtout pour une pièce aussi longue, cousue à la main, dont les fils ont résisté pendant près de mille ans.
Par ailleurs, Didier Rykner souligne la dimension diplomatique de ce prêt. Emmanuel Macron a salué ce geste comme un signe de réconciliation franco-britannique lors de son passage à Londres. Les défenseurs du patrimoine se méfient de plus en plus de ce genre de « diplomatie des chefs-d’œuvre ». Nombreux sont ceux qui trouvent particulièrement suspect qu’un trésor national soit utilisé comme monnaie d’échange politique, même pacifiquement.
De son côté, le British Museum cherche à rassurer. Selon l’institution, il collabore étroitement avec les équipes françaises pour garantir un soutien logistique optimal. D’après le communiqué de presse, ses spécialistes sont habitués à travailler sur des sources historiques d’une complexité similaire. Ces assurances techniques ne suffisent toutefois pas à apaiser les inquiétudes. Le débat public se tourne souvent vers l’exemple du Parthénon, dont les frises se trouvent toujours à Londres en raison d’un différend historique non résolu.
Outre la France, des divisions existent au sein même du milieu artistique britannique. Michael Daley, directeur d’ArtWatch UK, a mis en garde contre la tentation de déplacer des pièces aussi fragiles. Il souligne qu’il existe toujours une part d’incertitude liée au transport d’artefacts anciens, que ce soit par bateau ou par avion : chocs, humidité, pression atmosphérique, voire perte durant le transport. Il est impossible d’emmener une œuvre aussi importante que la Tapisserie de Bayeux dans un tel voyage sans risquer de lui causer des dommages irréversibles.
Cependant, Rykner, qui a déjà participé à des campagnes contre les choix patrimoniaux présidentiels, estime qu’il est encore temps de faire entendre la voix de ceux qui s’y opposent. L’exposition étant prévue dans plus d’un an, une mobilisation plus importante pourrait faire pencher la balance. Il se montre prudent mais déterminé, notamment en raison de l’exemple de la pétition contre les vitraux modernes de Notre-Dame, qui a recueilli près de 300 000 signatures sans succès.
Ce débat met en lumière un conflit persistant dans la gestion du patrimoine : trouver un juste équilibre entre préservation intégrale et accessibilité internationale. Afin d’accroître leur rayonnement mondial, de nombreux musées, en France et à l’étranger, cherchent à diffuser leurs œuvres. Or, toutes les pièces ne s’y prêtent pas. Certaines, comme la Tapisserie de Bayeux, nécessitent une conservation sur place en raison de leur ancienneté, de leurs dimensions et de leur fragilité intrinsèque. Dans ce cas précis, la simple idée d’un prêt semble susciter plus de scepticisme que de sympathie.